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« Le Paradis des fous » : Richard Ford s’offre une comédie crépusculaire

« Le Paradis des fous » (Be Mine), de Richard Ford, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, L’Olivier, 384 p., 24 €, numérique 17 € (en librairie le 20 septembre).
Les livres du cycle « Frank Bascombe », que Richard Ford construit depuis presque quarante ans, fonctionnent tous à peu près sur le même schéma. A l’occasion d’une fête (Pâques, Thanksgiving…), son héros prend la route et dresse un « état des lieux » (titre du troisième tome, L’Olivier, 2008) provisoire de sa vie et, au passage, des Etats-Unis. La première fois, pour Un week-end dans le Michigan (Payot, 1990 ; rééd. ­L’Olivier, 1999), Frank approchait la quarantaine, venait de perdre son fils de 9 ans et d’être quitté par sa femme. On l’a ensuite vu vieillir, traverser des deuils supplémentaires, connaître de nouvelles amours et de nouvelles ruptures, changer de voiture, de métier… Et toujours observer le monde avec son scepticisme non dénué de foi en l’humanité, déployer sa drôlerie et sa gentillesse ­bougonnes.
Dans Le Paradis des fous, nous sommes en février 2020, Frank a 75 ans, et la fête qui se profile est la Saint-Valentin. C’est avec son deuxième fils, Paul, qu’il va partir en voyage. Comme un « remake » d’Indépendance (L’Olivier, 1996, prix Pulitzer, sans doute le meilleur des romans sur Bascombe) : à l’époque, Paul était un adolescent à problèmes et, avant de l’emmener au tribunal pour enfants, Frank avait voulu lui faire visiter, notamment, de hauts lieux du base-ball.
En 2020, Paul a 47 ans, et il s’est récemment vu diagnostiquer la maladie de Charcot, qui le condamne à court terme. Aux Etats-Unis, cette pathologie neurodégénérative est largement connue comme « la maladie de Lou Gehrig », du nom d’un joueur de base-ball qu’elle a emporté en 1941. Difficile de ne pas voir une forme de dérision tragique de la part de Richard Ford dans le choix d’en affubler son personnage ; d’une certaine manière, Paul n’a plus à visiter des monuments en souvenir de sportifs, c’est comme s’il en était un. Un exemple de l’humour noir qui infuse Le Paradis des fous et accompagne les deux hommes dans leur virée « semi-épique » de trois jours vers le mont Rushmore (Dakota du Sud), cette immense sculpture à la gloire de grands présidents américains.
Car, si étonnant que cela puisse paraître, à partir de ces prémices, Richard Ford, 80 ans, a composé une comédie – douloureuse et crépusculaire, assurément, mais une comédie. L’auteur semble penser que même un diagnostic terrible ne saurait changer les hommes : tout au long du trajet, le dialogue entre le père et le fils va rester aussi « codé et elliptique » qu’il l’a toujours été ; il n’y aura pas de grandes effusions entre eux, mais beaucoup de blagues d’une qualité variable, dont quelques-unes sur la politique – moins présente que dans les précédents volumes. Il y aura aussi tout un tas de témoignages concrets de la prévenance de Frank à l’égard de son fils malade, venant illustrer ce que le premier disait dans En toute franchise (L’Olivier, 2015) : « Qu’est-ce que l’amour, sinon une infinie série de gestes isolés ? »
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